Entzheim sous l'Ancien Régime

 

Après le focus sur la période troublée de la Révolution en 2012, intéressons-nous à la vie publique de notre village des origines connues au Moyen-Âge jusqu’à la veille de la Révolution.

 

La seigneurie des Zorn

Possession des ducs de Lorraine puis de l’évêque de Strasbourg, le fief (seigneurie) d’Entzheim est attribué aux sieurs Zorn en 1297 par Ulrich, landgrave de Basse Alsace. Il investit le chevalier Nicolas der alt Zorn de tous les droits et revenus en dépendant. Entre autres, il autorise les desservants des églises, nomme les prévôts et perçoit 1/5 de la dîme (impôt sur les récoltes). C’est dans l’actuelle rue de la Dîme que se trouvait l’un des quatre « greniers à dîme » (Zehnerschier).

 Par la suite et jusqu’à la Révolution, Entzheim a été régi par la branche aînée des Zorn de Plobsheim qui ont introduit la Réforme protestante en 1559. Du reste, cette grande famille patricienne a donné le plus grand nombre de ses stettmeistres et ammeistres à la ville de Strasbourg.

 

En 1771, le seigneur Maximilien Auguste Zorn de Plobsheim rendit une dernière fois visite à ses sujets d’Entzheim. Toute la commune, le Pasteur Théobald Juch et les enfants en tête, lui prépara une réception enthousiaste n’imaginant pas qu’il s’agissait pour ainsi dire d’un adieu aux anciennes institutions. Bien que n’y résidant que rarement, les Zorn possédaient un château appelé « Junkerhaus » entouré d’un parc seigneurial situé à la hauteur de l’actuelle rue de la Blieth. Lors de la bataille du 4 octobre 1674, le village se trouvait au milieu des positions des Impériaux allemands opposés aux troupes du maréchal de Turenne. Il ne restait qu’un amas de ruines entraînant l'exode des habitants vers Strasbourg et Ostwald. Seul le château n’a pas été détruit. Vraisemblablement démoli sous la Révolution, la cave fut cependant épargnée pour devenir un lieu de stockage pour les paysans.

 

Une légende de l’époque en faisait un lieu hanté la nuit par un bouc noir et des démons maléfiques.

 

Les cours colongères

 

 Depuis le Moyen Age, il existait une organisation rurale bien spécifique en Alsace, terre à vocation essentiellement agricole. Celle-ci reposait sur de grandes fermes : les colonges. Le seigneur avait le droit de percevoir des impôts sur les deux cours colongères (Dinghof ou Meierhof) d’Entzheim. Notre localité leur doit probablement son origine. Il s’agissait d’une association de fermiers dépendant d’un même propriétaire dénommé le « Meier ». Celui-ci n’exploitait pas lui-même son vaste domaine qui était divisé en parcelles louées à des colongers. Selon les règles (la rotule ou Dinghofrödel), les fermiers s’engageaient à cultiver le sol et à payer au bailleur la valeur d’une partie des récoltes.

 

  • La cour Saint-Denis (Dionishof) est citée pour la 1ère fois dans une charte de 1138 en tant que bien du prieuré de Leberau (Lièpvre) qui lui-même dépendait de l’abbaye de Saint-Denis près de Paris. Une forêt d’une centaine hectares autour du village faisait partie de cette ferme. Après l’acquisition en 1450 par les Hospices Civils de Strasbourg pour 685 livres strasbourgeoises, la métairie fut appelée « Spittelhof » (ferme de l’hôpital) d’où cet emblème en forme de croix qu’on peut toujours trouver sur quelques vieilles pierres. La rue Saint-Denis (« Spittelgass », ruelle de l’hôpital) nous rappelle toujours son emplacement ainsi que son ancienne appartenance.
  • Concernant la cour de Hohenstein, peu d’indications sont parvenues jusqu’à nous.

 

Les institutions rurales

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les seigneurs n’agissaient pas en maîtres absolus empêchant toute coopération et prise de responsabilités. Ils savaient défendre leurs droits et privilèges tout en laissant une bonne part d’autonomie administrative aux habitants. Les charges, dîmes et corvées étaient néanmoins très pesantes surtout pendant les années de guerre où la population subissait les cantonnements de troupes, la contribution aux charges des conflits sans compter de fréquents ravages.

  • Le Schultz (ou Schultheiss « celui qui prononce un jugement ») : Autrement dit le prévôt qui occupait l’échelon inférieur de la hiérarchie féodale dans chaque village alsacien. En qualité de représentant de la communauté, il présidait le tribunal local et siégeait au Conseil des XIII. Le seigneur confiait cette charge à vie à un habitant considéré et natif du lieu. Il veillait à la sécurité du village, jouait un rôle d’arbitre dans les conflits et servait d’intermédiaire pour surveiller la rentrée de la dîme et l’exécution des corvées.

Le premier prévôt dont on retrouve trace est Hans Dietschen le Vieux. En 1472, il a soussigné le renouvellement du bail de l’hôpital de Strasbourg (Hospices Civils).

Il résidait rue de la Hache toujours appelée « Schutzegass ».

Après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, Louis XIV décida par ordonnance que les protestants seraient exclus de cette fonction. Ceux-ci ont réussi à contourner l’interdiction en dénommant leur prévôt « Stabhalter » (« celui qui tient le bâton », l’insigne des juges – cf. fonction de bâtonnier).

Entre le chef de la seigneurie (Herrschaft) et le prévôt, on trouvait un officier seigneurial : le bailli (Amstmann ou Vogt).

 

  • Le Conseil des XIII : Le village était doté d’une assemblée comparable à notre conseil municipal à laquelle incombait la gestion des affaires communales. Ses membres étaient élus à vie parmi les concitoyens qui avaient le droit de vote. En cas d’empêchement, cinq membres remplaçants étaient prêts à siéger afin d’atteindre le nombre d’élus prévu. Pour se réunir, il fallait l’accord du seigneur qui s’y faisait représenter par le Schultz. Le Heimburger, véritable administrateur de la commune, prenait la tête de ce conseil. Chaque année en séance publique, il présentait les comptes qui devaient également être soumis à l’agrément du seigneur. Les ressources étant réduites, les guerres entraînaient de fréquents recours à l’emprunt. Le conseil des XIII devait se prononcer avant toute signature de reconnaissance de dette.
  • L’Erstgericht (Tribunal local): Entzheim était désigné comme « lieu de plaid », c’est-à-dire cour de justice locale où on plaide ses droits et demande réparation contre un tiers « au nom du seigneur ». Il était constitué uniquement d’habitants d’Entzheim : 3 à 6 jurés, 2 assesseurs (~ avocats), le Schultz et le Heimburger. Le jour de l’élection était un des plus grands événements de l’année. Son greffier était désigné par le seigneur. Les affaires portaient sur les contrats, les emprunts, les petits délits, la contestation d’ordonnances communales et tout autre conflit comme les bagarres. Le jugement ne devenait exécutoire qu’après l’aval du seigneur à qui revenaient tous les « forfaits » (amendes).
  • Le Galgenplatz (place du gibet) : Le condamné à mort était conduit en ce lieu-dit situé dans la forêt qui existait près de l’emplacement de l’ancienne gare SNCF vers Hangenbieten. En 1645, dans une note insérée dans le registre paroissial, le Pasteur Sebastian Schmidt écrivait : « Le 26 décembre, le valet de ferme Martin Metz a poignardé André Fritsch avec un couteau à pain. Le coupable a été aussitôt emprisonné et condamné à mort par l’épée le 4 janvier. Il fut studieusement préparé par le bourreau à sa mort prochaine jusqu’au 6 courant où il fut exécuté à Entzheim mais avec une telle impatience qu’il renversa par deux fois le billot, jeta la coiffe avant que sans négligence la tête lui fut tranchée».

Au 18ème siècle a eu lieu la dernière pendaison pour exécuter un criminel de passage qui s’était réfugié dans une colonge où il a commis un dernier larcin. Il prit la fuite mais fut repris à la sortie du village.

 

Les charges et emplois communaux

Toutes les institutions rurales ne furent pas supprimées par la Révolution : veilleur de nuit, pâtres, garde forestier et garde champêtre subsistèrent.

  • Le veilleur de nuit (Nachtwachter): Cette fonction a perduré jusqu’en 1915. Pour veiller à la sécurité du village, « hallebarde en main et le cor suspendu à l’épaule », le veilleur accomplissait plusieurs rondes nocturnes comprenant 10 arrêts bien établis. Dès quatre heures, il sonnait l’angélus du matin. Pour effectuer les tours de garde, il était accompagné d’un Beiwachter, charge incombant à tout homme âgé de 18 à 60 ans.
  • Le garde-champêtre ou bangard (Bannwart) : Chargé de surveiller le ban communal, une fois élu (pour un an en général) et investi par le Schultz, il jurait de protéger les biens et les récoltes tant des riches que des pauvres. Lorsqu’il surprenait l’auteur d’une infraction, son autorité se bornait à lui réclamer un forfait (amende) reversé au seigneur.

 

Pendant des siècles, ces institutions demeurèrent inchangées tout en rendant les services dont la population avait besoin.

 

 Borne ancienne (Dorfzeichen) en limite des bans d’Entzheim et de Blaesheim (avec blason des familles Zorn et Bock)

 


Pierre FRIEDRICHS  Conseiller Municipal

Entzheim Info n°25 - Décembre 2013

 


. Parmi les ouvrages consultés : Histoire d’Entzheim de W. Guggenbuhl 1937 - L’Alsace noble de E. Lehr – La vie en Alsace n°9

. Avec l’aimable collaboration de Georges Christmann pour la traduction des textes rédigés en écriture cursive gothique

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